Amour sur le Mékong, par Pierre Wittmann
MARLÈNE OU LE JEU DE LA VIE
Extrait du chapitre 19 : Federico et Manisha
Manisha et Federico se regardent, se sourient, se tiennent la main. Ils sentent leurs énergies, leurs corps subtils, leurs auras s’interpénétrer. Ils n’ont pas besoin de parler, une communication beaucoup plus profonde que celle des mots a lieu dans leur simple présence l’un à l’autre. Ils sont assis côte à côte, immobiles, le regard perdu dans l’obscurité où coule le fleuve, invisible, silencieux, mais ils ressentent la force imperturbable de ce courant comme un flux de particules qui traverse l’immobilité et le silence de leur présence. Ils se sont rapprochés, leurs bras, leurs épaules se touchent, puis leurs pieds, leurs jambes, leurs hanches se trouvent. Des frissons, des ondes de chaleurs envahissent leurs corps. Ils tournent la tête pour se regarder, en même temps, et leurs lèvres s’effleurent. Ils se sentent complètement unis par une force d’attraction incontrôlable et l’intensité de la passion submerge leurs corps comme une vague déferlante. Pourtant, ils ne bougent pas, ni l’un ni l’autre. La vague explose en millions de gouttelettes argentées, l’eau ruisselle sur le sable et y dépose joyeusement son écume. Une joie ineffable envahit leurs cœurs et, ensemble, ils éclatent de rire.
Ils commandent des glaces, à la noix de coco, à la mangue et au tamarin et, entre des baisers, ils échangent des cuillerées de glace, comme des enfants. Puis ils retrouvent un calme contemplatif où toutes les perceptions illusoires du monde matériel s’évaporent, l’infinité de l’espace qui les entoure devient l’infinité de leur conscience commune, unie dans la tranquillité de la vacuité.
Ils restent un grand moment en silence, sans bouger, jouissant de la pureté de cette tranquillité.
« C’est curieux, dit Federico, j’ai l’impression que nous traversons en parfaite synchronicité différents états de conscience. Que nous n’avons plus qu’une seule conscience qui interprète une symphonie magique, dirigée par un mystérieux chef d’orchestre.
— Ce que nous vivons est merveilleux, Federico. C’est comme un rêve. J’ai l’impression que nous ne sommes plus dans la réalité du monde, mais dans un autre univers. Un univers de pure conscience. Et, pourtant, la matière est là, aussi. Je te touche, je t’embrasse, je sens les vibrations et les pulsations de ton corps contre le mien. Je vois cet arbre immense au-dessus de nous, les lampions. Je vois ces petites lumières qui défilent au fil du courant et je sens l’odeur du fleuve. Puis, soudain, tous ces repères matériels disparaissent et, alors, où sommes-nous ? Je suis toujours avec toi, c’est sûr. Je suis toi, peut-être. Nous ne sommes plus séparés… »
Les quelques clients du restaurant sont partis depuis longtemps, et même les serveuses ont disparu. Ils sont seuls dans un monde étrange. Les tables sous le banian, la maison coloniale, le fleuve, ils le savent, n’est qu’un décor fugace. L’auberge a trois chambres, au premier étage, avec un grand balcon couvert, et la vue sur le Mékong. Manisha et Federico choisissent celle du milieu. C’est la plus grande, elle est décorée dans des tons de rose. Il y a un grand lit, des commodes en teck, un sofa avec de gros coussins, deux peintures naïves qui représentent la vie quotidienne dans un village. Un nouveau décor pour la suite de leur aventure qui disparaît rapidement dans l’arrière-plan.
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