La voie tantrique, par Pierre Wittmann
MARLÈNE OU LE JEU DE LA VIE
Extrait du chapitre 17 : Ananda et Maryse
— Depuis que je suis moine, j’ai rejeté toutes les croyances et doctrines qui s’écartent des enseignements originaux du Bouddha, que j’ai alors considérés comme la seule vérité. C’est curieux, car auparavant j’étais plutôt ouvert, je m’étais intéressé à plusieurs autres voies spirituelles, et soudain elles se sont comme refermées et effacées de ma mémoire. Et quelle est alors l’énergie que la dakini Maryse est venue me transmettre ?
— Si je veux la résumer en un mot, Ananda, c’est l’énergie tantrique. J’ai aussi été en contact avec de nombreuses traditions, le bouddhisme vajrayana, le zen et le chan, des traditions indiennes, comme l’advaïta-vedanta, le soufisme, le taoïsme. Je n’ai jamais été très attirée par l’étude, par les gros livres techniques et les enseignements ésotériques, et n’aime pas beaucoup non plus les pratiques formelles et les rituels. J’aime les choses simples, les enseignements qui s’expriment par quelques phrases, par un poème, et qui s’adressent au cœur plus qu’au mental. Pour moi, la pratique c’est la vie, tout ce qui se présente dans le quotidien, les expériences de chaque instant. Voilà comment je comprends le tantrisme. Les événements de la vie ne sont pas séparés de l’état éveillé, de la pure conscience qui est notre essence. Ils sont simplement sa manifestation, son jeu, qui s’exprime sous des formes variées et changeantes, et sont, pour le tantrika, un constant émerveillement.
« C’est facile, car il n’y a rien à faire, sinon se laisser vivre dans la spontanéité frémissante de l’instant présent. Le tantrisme est une voie directe. Il n’y a pas de pratiques ni de purifications à accomplir pour atteindre une réalisation dans le futur, puisque notre essence est déjà, et a toujours été, éveillée. Cette voie est clairement exprimée dans le shivaïsme du Cachemire, une tradition très ancienne qui serait à l’origine des voies tantriques qu’on rencontre dans certaines écoles du bouddhisme. Malheureusement, celles-ci ont souvent encombré cette voie si simple de leurs dogmes et de leurs rituels.
« J’ai découvert une saveur tantrique dans le petit livre de Maître Sati. C’est une des raisons qui m’a incité à venir en Thaïlande.
— La voie tantrique est souvent assimilée à des pratiques sexuelles, et dans ce sens, elle est bien sûr très éloignée de ce nous pratiquons ici.
— C’est une interprétation abusive du tantrisme qui est courante en Occident. Comme la pratique tantrique comprend tous les aspects de la vie humaine, le sexe n’est pas rejeté, comme il l’est dans de nombreuses voies spirituelles et religieuses. Dans le tantrisme, il n’y a pas d’interdits, ni de limites, toutes les expériences sont bienvenues. Mais pour ceux qui vivent dans un contexte où il existe des interdits ou des limitations, il n’y a pas de manque. Ainsi un moine peut très bien pratiquer le tantrisme en respectant ses vœux et ses règles, comme moi-même je pratique le tantrisme en respectant les lois de la société et les limitations de mon environnement.
« La vie devient un jeu, ou un art, un art total, où la totalité est contenue dans la perception qui en émane à chaque instant, puisqu’elle en est la source. La seule chose qui change, c’est la façon de voir la vie, comme une quête, une lutte constante pour atteindre quelque chose, ou bien comme une présence tranquille et joyeuse à ce qui est.
— Je comprends ce que tu entends par tantrisme, qui me semble bien correspondre, d’une certaine manière, à ce qu’enseigne Maître Sati, même si, par ailleurs, il a toujours fermement soutenu la voie monastique. Quant à moi, en ce moment, je n’ai pas l’impression que c’est ce que je pratique. Il faut sérieusement que je remette en question mes motivations et le sens de ma vie de moine.
— Justement, tant qu’il y a des motivations, des intentions dans la vie, et le besoin d’y trouver un sens, on n’est pas dans une voie directe, mais dans une voie progressive. On cherche quelque chose qui manque, qui fait défaut, et on établit une stratégie d’actions, de pratiques, pour l’obtenir dans le futur et, pour justifier cette quête, on s’efforce de lui donner un sens. Alors que la vie n’a pas de sens, ni de but, il n’y a pas de mission à accomplir. C’est un jeu qui se joue spontanément, pour le plaisir, indépendamment d’un joueur qui aurait l’espoir de gagner ou la crainte de perdre. Tout dans la vie est jeu, c’est pourquoi la vie est merveilleuse… quand on cesse de la prendre au sérieux et de penser qu’elle devrait répondre à des attentes.
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