MARLÈNE OU LE JEU DE LA VIE

MARLÈNE OU LE JEU DE LA VIE

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Le monde des âmes, par Pierre Wittmann

MARLÈNE OU LE JEU DE LA VIE

Extrait du chapitre 2 : Marlène et Alba

« Bienvenue dans le monde des âmes, Marlène ! Je suis Alba. »

Alba prend Marlène chaleureusement dans ses bras et la serre longuement contre son cœur.

La transition du monde terrestre au monde des âmes est une expérience déroutante. L’âme quitte la terre par un long tunnel, comme une sorte de boyau, qui constitue le passage entre les différentes dimensions de la réalité. À la différence du vagin par lequel le bébé passe au moment de la naissance terrestre, le tunnel de la transition n’est pas matériel, et ne provoque aucune souffrance physique à l’être qui l’emprunte. Au contraire, il ressent une intense sensation de bien-être, de paix et de légèreté. C’est dans ce tunnel que l’être se désincarne et abandonne son esprit égotique. Comme les humains qui ont vécu une expérience de mort imminente, il voit alors une lumière intense au bout du tunnel. C’est la lumière du monde des âmes, la claire lumière dont parlent les mystiques qui l’ont entrevue dans leur méditation, une fréquence lumineuse trop forte pour les yeux des êtres incarnés.

« Comment te sens-tu Marlène ? Contente d’être ici ?

— Je me sens si pure, si légère, si tranquille. Une sensation merveilleuse, mais surprenante. Je ne sais pas ce qui m’arrive… Merci, Alba, de m’accueillir avec autant d’amour. C’est ce que je ressens, de l’amour, mais un amour bien différent, bien plus fort, et en même temps bien plus léger, que ce qu’on appelle amour sur la terre.

— Oui. Ici nous vivons dans l’amour absolu. »

Alba garde le silence pendant un moment que Marlène trouve interminable, comme si une journée entière s’était écoulée avant qu’elle ne reprenne la parole. Marlène en profite pour observer ce monde nouveau dans lequel elle se trouve projetée comme par enchantement. C’est étrange, se dit-elle, la notion du temps, ici, n’a rien à voir avec ce qu’elle est sur la terre. Comme si le temps n’existait pas. La lumière est intense, mais très douce aussi. Elle ne change pas selon des conditions extérieures indépendantes de notre volonté, mais semble répondre à nos émotions et nos désirs.

L’espace dans lequel Marlène et Alba se trouvent est encore plus étrange et plus insaisissable que le temps. Marlène a l’impression d’être dans une grande pièce, mais il n’y a pas de murs, ni de plafond, ni de sol. L’espace paraît s’étendre à l’infini, et pourtant elle se sent dans un lieu clos et intime. Il y a des lumières chatoyantes et des nuées qui se déplacent sans cesse, d’une façon subtile et langoureuse, mais en même temps tout semble parfaitement immobile. Cet environnement est irréel, mais aussi tout à fait naturel. Il est confortable et familier, comme si Marlène y avait toujours vécu, pourtant elle se sent complètement dépaysée.

« Je vais t’expliquer comment fonctionne notre existence, Marlène. Tu rencontreras ensuite les autres membres de ta nouvelle famille et chacun t’initiera, à sa manière, au monde des âmes et au rôle que tu vas y jouer. »

Marlène contemple Alba, une belle jeune femme blonde, grande et mince, avec un corps de vingt ans, mais aussi une grande maturité et une profonde sagesse. Elle est vêtue de voiles diaphanes qui ondulent, mus par de subtils courants d’air, jouent avec les lumières colorées du lieu comme un kaléidoscope et laissent deviner les formes fines et élancées de son corps nu. Marlène remarque qu’elle aussi a retrouvé le corps de ses vingt ans et est vêtue de voiles transparents qui flottent dans une brise que, curieusement, elle ne perçoit pas du tout. Elle ne ressent pas son corps non plus, il a l’air d’une apparition sans substance, un mirage, une réalité surnaturelle qui pourrait disparaître à tout instant.

« Comme nous avons un lien très étroit avec la terre et avec les humains, reprend Alba, tu verras que nous utilisons beaucoup de formes de la vie terrestre. C’est facile et fonctionnel pour nous, mais nous ne sommes pas limités par ces formes et rien ne nous oblige à les utiliser. Nous avons une liberté et des possibilités infinies, et difficilement imaginables pour un être humain. Tu vas les découvrir à ton rythme. Au début, tu seras encore habituée et attachée aux formes terrestres. C’est tout à fait normal. Donc, prends ton temps, Marlène ! »

Après un long silence pendant lequel Marlène se laisse doucement bercer par la paix et la beauté qui l’entourent, Alba continue :

« Le temps, l’espace, la causalité, ne sont pas ici des limitations et des contraintes, comme sur la terre. Nous avons la capacité de les utiliser et les modeler à notre gré, ou de nous en passer complètement. C’est comme la parole, même si maintenant je parle, nous n’en avons pas besoin. Nous pouvons communiquer directement, d’âme à âme, par la télépathie, par l’intuition, comme diraient les humains, qui ont parfois un aperçu de nos manières de communiquer. Tu remarqueras aussi que toutes les communications se font dans ta langue de prédilection, ou celle que tu choisis à chaque instant. En ce moment, je te parle en italien, la langue de mon cœur, et tu entends mes paroles en français, ta langue maternelle dans la vie que tu viens de quitter. »

Marlène, charmée par le son mélodieux de la voix d’Alba, se relaxe de plus en plus dans son nouvel environnement et étire ses membres avec délices sur les coussins moelleux du sofa sur lequel elle est étendue depuis son arrivée. C’est alors qu’elle remarque avec surprise qu’il n’y a pas de sofa. Ce sont ses sensations tactiles et la visualisation de souvenirs terrestres liés au bien-être sensuel qu’elle ressent qui ont matérialisé l’apparence d’un sofa. Mais elle repose, comment dire… dans un vide douillet, un état d’apesanteur, comme sur des bulles de savon aux reflets chatoyants. C’est étrange, et délicieux.

« Tout ce que je peux te dire, Marlène, tu le sais déjà, c’est en toi, inséparable de toi. C’est toi, car tu es tout, et, à mesure que tu le découvriras, tu comprendras le vrai sens du mot omniscience, que les humains utilisent, sans bien le comprendre, pour nommer une des qualités qu’ils donnent à leurs dieux. Les conditionnements humains et l’ignorance de la vraie nature des choses sont encore cristallisés en toi, et te protègent de l’inconfort d’une transition trop rapide. Mais ils vont fondre comme le givre matinal sous les premiers rayons du soleil, et tous les aspects de ta nouvelle vie vont s’éclairer et resplendir, car ils sont ce soleil. Nous sommes sa lumière et nous apparaissons, sous des formes variées, comme toutes les facettes de cette lumière. Nous sommes ce que les adeptes du nouvel âge appellent des êtres de lumière.

— J’essaie de comprendre ce que tu me dis, Alba, et de découvrir en moi cette omniscience dont tu me parles, cette lumière, que je perçois bien autour de moi, mais qui me semble encore séparée de moi. Que dois-je faire pour devenir aussi cette lumière ?

— Tu ne dois rien « faire », Marlène, mais simplement « être ». Faire sépare, être unit. C’est ce que les humains ont de la peine à comprendre. Ils sont sûrs que le but de leur vie est de faire, et c’est pourquoi ils se sentent toujours séparés les uns des autres, chacun préoccupé par sa petite activité et le but ou le résultat qu’elle lui promet dans le futur. Faire l’isole, et en même temps le met en opposition, en compétition, en conflit avec ses semblables. Alors que le jour où il renonce à faire pour être, il commence à comprendre l’unité de tous les êtres. Tu remarqueras que là, il utilise précisément le mot « être » pour se désigner, car il renonce à son moi individuel. Et ce nouvel être cesse de se projeter dans le futur par ses actions, mais « est » dans le présent. Ici, nous sommes dans cet état d’être, tu vas vite t’en rendre compte, Marlène. La compulsion à faire, et l’idée que c’est un devoir, vont te quitter. Ce sont des résidus de ta vie terrestre. Ce que les humains appellent des souvenirs. La mémoire est ce qui donne aux humains leur identité et leurs points de repère, l’impression d’exister et leur sens de l’appartenance. Mais comme elle se réfère toujours à un passé révolu, elle ne leur offre jamais la vraie sécurité qu’ils recherchent, cette sensation d’unité qui n’existe que dans le présent. Ils sont toujours insatisfaits et continuent à chercher le contentement, la paix, le bonheur dans le futur, et pensent que faire est le seul moyen d’y parvenir. Alors qu’il suffit de lâcher prise pour trouver la paix. C’est ce que les Chinois appellent le « wu wei », le non-faire ou le non-agir.

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